Le labyrinthe, la cathédrale de Lucques
Car un labyrinthe n'est pas un territoire où l'on se perd; c'est un lieu où l'on revient sur ses pas. On y marche comme j'écris ce livre, c'est-à-dire à pas de loup. On avance à tâtons, sans savoir si ses efforts donnent sur une cloison, ou une ouverture. Chaque décision se résorbe dans un cul-de-sac, ou découvre une issue de secours.
Chaque instant raconte cette lutte, toujours renouvelée, entre l'impasse et l'issue; le moindre instant remet en jeu ce qui a été gagné: il vous expose à la ruine autant qu'au triomphe.
Vous êtes concentré sur des détails, une inflexion suffit à vous sauver, ou à vous perdre: le labyrinthe vous oblige aux nuances.
Vous cherchez depuis longtemps la sortie, mais il est probable qu'il n'existe rien en dehors du labyrinthe: le labyrinthe est à la mesure du monde, c'est-à-dire chaotique, retors, aléatoire, et sans mesure. Ainsi ne s'agit-il pas d'en sortir: il n'y a que lui.
Une nuit, à Belleville, en rentrant chez moi, je croise un fou. Ses yeux sont rouges, sales; je le sens capable de tout. Il sort un couteau, la stupeur me paralyse. Il tend la pointe du couteau vers mon cœur, et y trace une petite croix. Il me dit: « Aimes ton labyrinthe » — puis il éclate de rire, et disparaît.
Le labyrinthe existe afin que vous cessiez de croire aux murs. L'obstacle n'est qu'un détour. Les pièges vous réservent des clartés. Je ne suis pas prisonnier de ma raison: le labyrinthe est la forme que prend dans ma vie l'acheminement du langage.
Une phrase m'accompagne depuis que j'ai écrit le premier chapitre de ce livre: « Celui qui n'a pas fait le tour de la vie avant de commencer à vivre n'arrivera jamais à vivre. » Je ne sais pas de qui elle est —Nietzsche? Kierkegaard? Blanchot? Peu importe: sa clarté vient à mon aide. Grâce à elle, je comprends que cette première journée condense les expériences où ne cessera de s'accomplir ma vie: elles sont déjà toutes là, réservées dans la pliure d'un samedi.
Il existe une pensée qui ne se laisse pas penser; elle s'offre sous la forme d'un tourment sans objet, lui-même insaisissable: en prenant toujours plus de place, ce tourment s'étend à chacune de vos expériences, les exténue, ou au contraire les illumine. Je n'ai pas de nom pour ce tourment, encore moins pour cette pensée; d'ailleurs je n'en veux pas: un nom — Dieu, l'être? —, en comblant le vide, y étoufferait ce qu'il y a de plus libre. Cette pensée qui ne se laisse pas penser, il ne me viendrait pas à l'idée de vouloir la dompter: au contraire, elle anime ce qui m'échappe avec la vigueur de l'éclair. Alors bien sûr que j'erre un peu (la certitude m'est interdite); mais cette errance accorde des richesses à celui qui accepte de n'être sûr de rien.
— in Le sens du calme (2011)
路過
回覆刪除謝謝子涵:有空常來坐坐啊!
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